(Chronique ordonnée de la saga TERROT)

 

[Cette page Web a paru sous forme de CHRONIQUES HEBDOMADAIRES
dans le quotidien dijonnais "Le Bien Public" ,  fin 1995-début 96 ]

 

  , comme Allemagne.

C'est à peine croyable : TERROT, ce nom bien français, plus précisément localisé en Champagne, à Troyes, a d'abord connu la réussite industrielle sur les bords du Neckar.
De plus en plus étonnant : TERROT, la marque, est née au pays des "Mercédès"; dans la banlieue de Stuttgart. Son fondateur, Charles Terrot, était même (ses descendants en ont la preuve par des lettres heureusement conservées) un ami personnel de Gottlieb Daimler, pionnier de l'automobile et "père" de l'illustre lignée des "Daimler-Benz".
On dira : "Daimler, les autos, Terrot, les motos, ils étaient donc tous les deux dans la mécanique et les moteurs ?" Eh bien, pas du tout . Charles Terrot se moquait des engins à propulsion comme de sa première chemise. Son créneau c'était la mécanique, d'accord, mais appliquée aux métiers à tisser. Et plus exactement, les nouvelles techniques de machines à tricoter circulaires, dont il avait déposé le brevet d'invention alors qu'il n'avait pas 20 ans. Enorme débouché, semble-t-il, pour les années 1850-1880, où les nouveaux maillots de coton (maillots, c'est à dire de la "maille" et non plus du tissu), sans parler d'autres articles "tubulaires", comme les chaussettes et les... "bonnets de nuit", vont faire un malheur dans l'évolution vestimentaire de cette Europe pré-moderne.
Pourquoi le jeune technicien, contremaître dans une entreprise de Troyes, décida-t-il de suivre Fouquet, son patron, pour fonder de nouveaux ateliers en Wurtemberg ?
Pourquoi, vers 1886, devenu patron à son tour, voulut-il créer une filiale en France... et pourquoi choisit-il Dijon ?

   , comme Bad-Cannstatt.

Petite ville d'eau, en face de Stuttgart, la voici promue au rang de gros faubourg industriel, vers le dernier quart du XIXe siècle.
On y retrouve la firme "C.Terrot-Construction de métiers à tricoter circulaires", dont les succès sur les marchés européens vont croissant. Pour le 500ème exemplaire (chaque machine est un ensemble complexe, coûteux, long à fabriquer, et le chiffre de 500 représente un petit exploit), sa présentation à la grande exposition d'Ulm lui décroche une belle médaille d'argent.
Pourtant, le maître d'oeuvre de cette réussite voit approcher la soixantaine avec l'appréhension d'un père de famille nombreuse qui n'a pas la possibilité "d'établir" toute sa descendance: quatre fils et quatre gendres (la cinquième fille étant décédée en bas âge), ce n'est pas rien et dépasse en tous cas les possibilités d'emploi d'une "PME" prospère, mais limitée... Il faut donc se développer.
Comment le faire autrement qu'en ouvrant de nouveaux débouchés sur le seul marché que Charles Terrot n'a pas attaqué jusque-là, la France ? Il sait, en effet, mieux que personne, que les ateliers de Troyes tiennent la situation bien en main. Et que, de plus, le sentiment anti-allemand, "le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges" et la reconquête de l'Alsace-Lorraine, ne sont pas pour faciliter la diffusion, dans les bonneteries, de matériels germaniques. Il faut donc installer, là-bas, dans la mère-patrie, une filiale "Terrot-France", en une ville carrefour, pleine d'avenir, et pas trop loin des terres allemandes : Dijon, bien sûr... L'an 1887, dirigé par Charles (aussi!), le fils aîné qui n'a pas trente ans, avec le contremaître Mauerhahn, l'atelier démarre, au 2 rue André-Colomban. Tiendra-t-il le coup ?

   , comme cycles.

Les "accros" de TERROT, de ses motos ou de ses belles affiches, qu'ils collectionnent avec passion, ne peuvent s'empêcher de frémir quand ils se disent que trois ans après son lancement, "Terrot-France" aurait dû fermer.
Car l'opération "vendre aux bonneteries françaises des métiers à tricoter circulaires" a fait un bide. Pourquoi ? On ne le sait guère, mais, comme toujours, il y a plusieurs facteurs qui ont joué : moyens de prospection du marché inexistants, peu de main-d'oeuvre suffisamment spécialisée, position fausse (la production de Dijon, moins 'bonne" que l'allemande, ne peut ni servir les anciens clients, ni convaincre les nouveaux)...
En tous cas, l'affaire aurait pu en rester là, si l'un des gendres, Willhem Duttlinger, pour ne pas le nommer, ne s'était trouvé disponible, à 36 ans, et désireux de se refaire une situation. On imagine (un peu) la conversation: "Beau-papa, laissez-moi reprendre "Dijon", j'y engage quelques capitaux personnels, je crée une activité nouvelle et je fais la fortune de votre chère Emma, mon épouse !"
Bon prince, le patriarche a cédé. Et l'idée, simple, solide et totalement réaliste tient en deux petites syllabes : le vélo !
Figurez-vous, braves internautes à la veille de l'an 2000, que vers 1890 la paisible cité bourguignonne est en proie aux délires de la dernière mode : faire de la bicyclette ! C'est un "sport" (mot nouveau), c'est un jeu, c'est une conquête sociale : dames et messieurs, bourgeois et ouvriers, tous en redemandent.
Et les ateliers de la rue André-Colomban sont de taille à faire face... avec en plus, un atout dans la manche : le fameux "nickel" Terrot.

   , comme Duttlinger.

Juste un peu de généalogie: Charles Terrot (1831-1903), quitte Troyes pour fonder une entreprise en Allemagne, et son union avec Louise Heim le rend père de 9 enfants. C'est l'un de ses gendres, Wilhelm Duttlinger, qui lance à Dijon la fabrication en série de bicyclettes, en reconvertissant des ateliers prévus ini-tialement pour fabriquer des métiers à tricoter industriels.
En fait, il n'y a donc pas eu véritablement de "Monsieur Terrot" à la tête de cette entreprise : tout au plus des "adjoints", comme Franz Terrot vers 1900, et surtout Ernest Terrot, neveu de Duttlinger, jeune ingénieur de talent à l'ample barbe noire, qui fera équipe avec ses cousins, Charles, Jean et Marcel Duttlinger, autour du "Grand Cuzeau" (voir une prochaine chronique au sujet de cette figure de premier plan...), dans les belles années 1910-1914.
Que Wilhelm, petit homme sec et volontaire, ait eu "quelque chose à prouver", cela ne fait pas de doute pour ceux qui évoquent son souvenir. Passionné de technique, mais aussi très moderne dans son souci de la pub et du commercial, il sera parfaitement obsédé de ce qu'on appelle aujourd'hui "l'image de marque": Pas d'aventure mais de l'innovation "raisonnable", le rappel incessant des "titres de gloire" (médailles d'or aux concours de l'illustre Touring-Club de France pour les vélos, succès en compétition pour les motos) et thèmes publicitaires repris et martelés pendant dix ans.
Les 12.000 vélos (et 1500 motos) produits par an, à la veille de 1914, signes tangibles de la réussite, pourront-ils donner à Wilhelm, naturalisé "Guillaume", le courage de supporter les épreuves inouïes que la "Grande Guerre" lui réserve ?
Rien n'est moins sûr...

   , comme ennemi.

TERROT, DIJON voilà les deux termes constamment associés dans les catalogues, les affiches, sur les plaques des vélos... On voit même des photos de stand "Terrot" au Salon de Paris où la mention "Dijon" est plus grosse que le nom de la marque !
Chacun l'aura compris, il s'agit de ne pas laisser s'infiltrer le moindre doute: ce ne sont pas des "boches" (comme on disait alors) qui officient rue André-Colomban, c'est une "manufacture française" et fière de l'être.
En fait, c'est certain, non seulement le patron est un pur Wurtembourgeois, mais au moins dans les débuts, une partie du personnel est importée de Stuttgart et non des moindres: comme Gottfried Mauerhahn, dont ses descendants nous disent qu'il est sans doute l'un des détenteurs, avec son fils Eberhard, du savoir-faire pour les "bains" du fameux nickel Terrot. Mais aussi qu'il reste attaché au dialecte souabe malgré son insertion définitive dans notre cité. Ironie du sort (et là nous anticipons sur la prochaine rubrique...): cet excellent sujet germanique recevra un "diplôme" de félicitations officielles pour avoir superbement travaillé à l'industrie de guerre et à la victoire de la France !
Mais revenons à l'été 1914 : la prospérité de TERROT, qui vient de lancer (après un premier essai dans la construction d'autos "moyennes") un nouveau modèle léger plus populaire, sans renier les standards de qualité-maison, a largement de quoi porter ombrage au premier constructeur français.
Faut-il chercher du côté de Montbéliard l'origine de l'affaire? "On" susurre au préfet que TERROT & Cie est une "maison allemande" et qu'à ce titre l'Etat peut confisquer ses biens. Ce sera donc fait le 29 octobre.

   , comme fabricant d'armes.

En cet automne 1914, TERROT & Cie est occupé par la troupe. Quel régiment ? On ne sait... Mais ce que l'on sait parfaitement, c'est qu'au même moment le 27ème d'Infanterie, fierté des Dijonnais, est engagé au combat sur les Côtes de Meuse, et encaisse de rudes assauts. Parmi les jeunes gens, Charles et Marcel Duttlinger, fraîchement mobilisés, car de nationalité française. L'aîné des fils du patron de TERROT - naturalisé lui-même depuis 1912- n'est qu'un simple soldat; il a 31 ans, une épouse de 29 ans et deux petites filles. Le cadet, Marcel, célibataire, a 24 ans et des galons de sergent. Un obus allemand va les réunir dans la mort, par hasard, le 30 octobre, alors qu'ils n'appartenaient pas à la même compagnie.
Cruelles épreuves pour Guillaume, dans sa soixantième année: la France lui arrache, presque le même jour, deux enfants sur trois et l'oeuvre de sa vie, son entreprise. Acculé au désespoir, il laisse le jeune Ernest Terrot (sujet helvétique) gérer les affaires courantes. Au 2 rue André-Colomban, l'armée utilise les ateliers comme... dépôt de bicyclettes, car Dijon, carrefour ferroviaire, jouit d'une position stratégique. Toutes les questions qu'on peut se poser sur les "influences" qui ont dicté au Ministère de la Guerre la paralysie d'un des principaux constructeurs de deux-roues, ne reçoivent, en réponse que des suppositions...
"Quelqu'un" a voulu abattre l'entreprise, "quelqu'un" ne souhaite pas qu'elle vienne empiéter sur les abondantes commandes militaires...
Pourtant, la guerre s'éternise et la fabrication (de vélos, d'abord, puis de Motorettes spéciales "armée"), reprise dès 1915, s'amplifiera avec des pièces d'armes, le tout confié à d'importants effectifs d'ouvrières.

   , comme "grand Cuzeau".

C'était promis: il faut revenir sur ces années 1910-1920 pour parler d'une figure essentielle de la gloire de TERROT.
Qu'on se représente un solide gaillard d'1 mètre 92, svelte et sportif, l'oeil vif et le cheveu noir. D'origine côte d'orienne, Henri Cuzeau possède une formation de technicien (Beaux-Arts de Dijon) qui n'a rien d'éblouissant, mais il a d'autres atouts que bien des ingénieurs pourraient lui envier : le talent, la passion de la mécanique... La course de motocyclettes va lui offrir l'occasion de se distinguer: entré rue André-Colomban en 1906, à 18 ans, il remporte ses premiers lauriers au Paris-Nice 1909, puis s'adjuge le Grand Prix de Turin en 1910.
Désormais, en rivalité permanente et amicale avec Miguel Franquebalme, autre pilote officiel Terrot (ainsi qu'avec les Klein, Schwalm, Verpault, autres champions de l'équipe), non seulement il participe à toutes les classiques: courses de côte, épreuves sur route et sur circuit... - souvent pour la victoire ou les places d'honneur - mais aussi travaille à l'élaboration des prototypes, en particulier des Motorettes bicylindres.
Provisoirement aviateur au début de la guerre, il revient à l'usine comme "affecté spécial" et conçoit pour l'armée, en 1916, un incroyable proto bicylindre longitudinal, 2 temps, aussi novateur par son cadre que par sa mécanique.
Héros de l'ancien vélodrome de Dijon (aux allées du Parc), Cuzeau, surnommé "le crack à la Terrot", s'y livre à des joutes démoniaques avec Gaudet, le grand as dijonnais !
Mais la page est tournée en 1919 : l'usine TERROT, confisquée par l'Etat, et promise à une vente aux enchères, doit trouver un repreneur. Après le temps des pionniers, voici venir le temps des hommes d'affaires.

   , comme hommes d'affaires.

Terrot & Cie fait donc partie des biens séquestrés en 1914 pour cause d'appartenance à des capitalistes allemands... Dès la fin des hostilités, la puissance publique (dont les caisses ont été vidées par l'effort de guerre) veut faire rentrer de l'argent par la vente (aux enchères) de ce type de "propriétés".
Ce n'est pourtant qu'à l'automne de cette terrible année 1920 (inflation de... 300% par rapport à 1914, grèves très dures au printemps) que l'annonce légale de la liquidation paraît dans la presse dijonnaise. Mise à prix : 2 millions, pour l'usine de Dijon et le magasin de Paris. Malgré tous les coups du sort qui l'ont accablé, Guillaume Duttlinger part au combat pour racheter son entreprise avec quelques associés dijonnais : Chevignard, le banquier, Deroche, le gérant de sociétés, Nouvion, l'industriel...
Mais il ne fait pas le poids devant le groupe (essentiellement lyonnais) de capitalistes et d'industriels, rassemblé autour de la forte personnalité d'Alfred Vurpillot. On pourrait supposer, en voyant la carrière de ce franc-comtois protestant du pays de Montbéliard, totalement dévoué à la marque "au lion", qu'il s'agit de pantins téléguidés par les gens de Valentigney. Les événements vont montrer, au contraire, que son intention de reprendre pour lui cette affaire est déterminante.
Aussitôt prononcée l'adjudication (à 2.406.000F) à son profit, cette "Société Lyonnaise[...]de cycles, motos, etc." devient ETABLISSEMENTS TERROT, nom que portera la firme jusqu'à la fin, en 1961.
Alfred Vurpillot s'installe donc (1921) dans le fauteuil de Duttlinger : le potentiel "humain" de la société (environ 200 personnes) est modeste, mais la réputation de la marque et de ses produits vaut de l'or !

   , comme industriels.

C'est un élan considérable qui pousse les "Etablissements TERROT" dans une ascension irrésistible : de 1.000 motos par an (avec 250 salariés) en 1921, on bondit à 10.000, en 1925, avec 750 salariés et 24.000 en 1930, avec 1.800 salariés. Et l'on passe sous silence une abondante production de vélos !
Autres chiffres : la 100.000 ème moto (depuis 1903) est fêtée en janvier 1930, alors que TERROT est déjà en tête des constructeurs français depuis plus d'un an, laissant le second (PEUGEOT) avec un total de 50.000 machines.
Les équipements suivent (ou précèdent...) la cadence : l'usine des Lentillères, naguère édifiée par la maison Cottereau (célèbre marque dijonnaise de cycles et d'autos), est tombée dans l'escarcelle des Vurpillot. Les bâtiments en béton, commencés en 1912, rue André-Colomban, s'allongent jusqu'à l'angle du boulevard Voltaire et La construction majeure, sur ledit boulevard, s'édifie en 1931-32.
Désormais, l'une des plus fortes images "de marque" pour TERROT, ce sera celle de l'usine-modèle, l'usine-symbole de modernisme, de puissance et de qualité, telle qu'elle va figurer, sous forme de "poster", chez les 3.000 agents du réseau, de France, d'Europe et... des colonies.
Sans cesse martelés par les slogans publicitaires des stands de Salons (à Paris et à l'étranger), des affiches, des annonces et des catalogues, les thèmes de TERROT - particulièrement chers à Jean Vurpillot - parleront de "haute qualité pour le plus grand nombre par la grande série".
Pourtant, la grande Crise des années 30 ne va-t-elle pas mettre l'édifice par terre...?

   , comme JAP, Jules et Jean.

Seulement quelques mots pour évoquer ce qui constitue l'un des plus beaux fleurons de la couronne de TERROT : la course !
Dès 1923-24, les Vurpillot, qui croient plus que personne en "l'image de marque", lancent un ambitieux "Service Courses".
Première décision : faire venir Paul Dion, qui travaillait pour...PEUGEOT, afin de lui donner la responsabilité du dispositif. Deuxième décision : affecter des mécaniciens "pointus" à l'équipe de compétition et les motiver : Aubertin, Belney, Couthier, Garret...travaillent à plein temps sur les bolides, d'abord équipés de moteurs JAP (anglais) puis de TERROT à 100%. Troisième décision : recruter, évidemment, les meilleurs as du moment, comme pilotes officiels (c'est-à-dire salariés de l'entreprise). Les nouveaux talents, en particulier, sont décelés avec passion par Jean Vurpillot, qui va sur le terrain et sait reconnaître les "bons" !
C'est ainsi que l'un des plus fameux, Jules Rolland, d'Aix-en-Provence, va glaner d'énormes succès pour la marque dijonnaise : en 4 ans, sur 114 courses, il est 96 fois vainqueur et 13 fois second ! Suivi de près dans les palmarès par Pierre Perrotin, d'Arnay-le-Duc ("notre" Pierrot...), 88 fois premier et 23 fois second sur 136 courses entre 1923 et 1930. Pour ne pas citer les fameux Durand, Coulon, et Boetsch, Jean Braccini, Martin (TERROT triple Champion de France en 1933 !) et Padovani, qui va rester attaché à la marque pour bien d'autres raisons dont nous parlerons bientôt.
Inutile de dire le prestige acquis dans ces années trente, alors que TERROT lance même une série de machines "compétition-client", 15 % plus chères que les normales. Aujourd'hui, mettez plus de 100.000F si vous en trouvez une en bel état...!

   , comme lutter pour vivre.

1933 : le Krach américain de 1929 fait maintenant sentir ses effets sur les marchés européens. Les motos "haut de gamme" trouvent rarement preneur, le temps des "B.M.A." est venu : ancêtres de nos modernes cyclomoteurs, ces 100 cc à pédales, limitées en poids et en vitesse sont encouragées par une exo-nération fiscale.
TERROT, dont la production de motorisés chute de 27.000 à 9.000 machines, a les moyens d'étaler l'onde de choc en se maintenant très fort sur le vélo et sur ces "pétrolettes" à grande diffusion : vous en avez sans doute connu ou entendu parler, car les 100 populaires (qu'elles soient Monet-Goyon, Motobécane, ou Peugeot, Alcyon et tant d'autres plus petites marques) ont connu une immense diffusion jusqu'au début des années 50.
Mais il faut faire du chiffre d'affaires et diversifier les produits; dès 1934 l'usine met en fabrication des voitures d'enfant et propose tout de suite une gamme très complète, de la standard à la grand luxe; Lucien Poccard se souvient aujourd'hui d'avoir fait rondement tourner un atelier de 18 ...couturières, à quelques dizaines de mètres des ronflements de la grande métallurgie !
Aux landaus de tôle emboutie s'ajoutent les poussettes "Teroto" (si vous en avez sauvé une, faites-nous signe, merci), et aussi des véhicules qui font l'objet d'un nouvel engouement : les side-cars.
Non seulement les 2 modèles Terrot vont bénéficier du réseau des 3.000 agents, mais leur prix intéressant pour une qualité sérieuse ne peut que renforcer la réputation-maison.
Et, du côté de l'Armée, on ne va pas rester insensible à leurs atouts.

   , comme militaires.

Si la contribution de TERROT & Cie - vous vous souvenez, la première entreprise Terrot- à la guerre de 1914-1918 n'est pas encore bien connue, l'état des commandes militaires aux Etablissements TERROT, soit en temps de paix, à partir de 1934, soit en temps de guerre (dès septembre 39), s'exprime avec plus de certitudes.
Une première vague de marchés signés dans les années 1934-35 concerne la machine à tout faire, l'une des plus vendues de la production dijonnaise : il s'agit de la 350 HST, 4 temps latérales, simple, robuste et économique, dont la version HST"A" équipera des estafettes, chargées de reconnaissance et de liaison.
Une deuxième vague, des 500cc cette fois, donne à TERROT le premier rang parmi les fournisseurs militaires : moto moderne avec boîte de vitesses intégrée au bloc-moteur, rustique et puissante, la RD, version RD"A", avec cadre plus haut et divers renforcements, prend la vedette à partir de 1936.
Enfin, une troisième fournée, moins convaincante, repose sur du matériel tout-terrain, pour lequel TERROT tente d'innover: Des prototypes de 500, et de 750 bicylindres en V, équipées d'un train de petites roulettes, à la base, destinées au franchissement des talus, ne font pas mieux que la concurrence, lors des tests sévères infligés par l'Armée.
Quoi qu'il en soit, on sait qu'entre septembre 1939 et juin 40, TERROT, avec 4.700 machines, va fournir près de 40 % des motos militaires neuves.
Et les anciens se souviennent aussi d'une fabrication de Gnome et Rhône AX 2, 800 cc bicylindres attelées, imposées par le Ministère de la Guerre, et dont le démarrage trop difficile ne donnera guère de résultats... avant l'arrivée des Allemands, qui sauront en tirer profit !

  P  , comme Padovani.

Peut-on faire la comparaison ? Le Terrot d'avant 14 avait eu, en la personne d'Henri Cuzeau, un concepteur-essayeur-pilote de grand talent. Le Terrot d'après 1935 aura aussi son "sorcier", avec cette différence que les Directeurs successifs n'auront pas tous (hélas) la même bienveillance pour ses talents.
Que dire de l'apport d'Edmond Padovani à TERROT, qui fut à la fois considérable et très en-dessous de ce qu'il aurait souhaité ?
Que ce sont, d'abord, les facettes multiples d'un esprit très doué et d'un caractère énergique. Pilote amateur sans grands moyens, il dame le pion aux machines des officiels d'usine; "ingénieur" chez TERROT sur les prototypes de course, il se consacre pourtant, sans transition, à la création d'une 100 populaire vraiment moderne (qui sort en 1939). Chargé de restaurer la grandeur de la marque en 1956, dans un contexte d'austérité, il développe en quelques mois une gamme nouvelle (125, 175), applaudie comme étant "de classe internationale", et montre qu'il sait réutiliser au maximum les éléments mécaniques rentabilisés par la firme. Mais qu'il sait ajouter du panache à cette prudence, en étonnant tout le monde par la Rallye, une 175 de sport qui vaut quasiment 130 km/h, dans son état standard !
Qu'il s'agit, ensuite, d'une regrettable série de déceptions : la fameuse 125, qu'il crée en 1943-1944, avec une belle avance, mise en production sans évoluer pendant dix ans, alors qu'elle est riche de possibilités; les projets de 250 bicylindre ou de cyclomoteurs condamnés à rester dans les cartons !
Pourrons-nous encore parler de gloire de TERROT pour les années 1948-55 ?

   , comme ratés

Oui, vous avez bien lu : ratés au pluriel, tel est bien le titre choisi pour la période 1948-55. Pourtant vous êtes peut-être encore nombreux à garder le souvenir des deux usines Terrot tournant à plein régime, avec des effectifs passant de 1.200 à 1.800 personnes...
Que s'est-il donc passé? Pourquoi, dans cette entreprise puissante et réputée, les options prises sous la direction de Samuel Renaud (gendre d'Alfred Vurpillot, entré dans l'affaire dès 1921) sont-elles à coup sûr des échecs ?
D'abord parce que la période était à la fois trop facile ...et trop difficile : facile de vendre sur un marché avide, qui se rattrape des pénuries (six mois de délai pour avoir une 125 en 1950 !), facile aussi de gagner beaucoup avec des produits amortis. Mais difficile de parer au brusque retournement des goûts de la clientèle vers 53-54, qui veut de la nouveauté, de la qualité, et qui trouve des autos d'occasion (2 CV et 4 CV ) au prix des motos.
Mais encore : les lubies du Directeur engage la firme dans des impasses; par de gros investissements à l'usine des Lentillères, on produit un scooter qui n'a ni les performances ni la fiabilité pour concurrencer les Vespa. Pour succéder à des 350 hors-d'âge, on bâcle une 250 poussive et mal lubrifiée.
Et surtout TERROT néglige imprudemment le nouveau marché des cyclomoteurs, qui vont assurer la survie de Peugeot et Motobécane.
Restent des lambeaux de gloire, attachés aux 500 RGST, qui font un succès chez les militaires, les gendarmes et les CRS, et qui, lors des rallyes moto, où elles ne sont pas surclassées jusqu'en 1954, s'imposent avec des pilotes doués, comme Jean Pessey, Eugène Pillot. Mais nous fermerons cette série de rubriques sur les belles heures de la course vélo !

   , comme vélo.

Vous l'avez lu : tout a commencé par là... Alors, pour finir, il est juste de rendre hommage à cette "bicyclette Terrot", qui, elle, n'a jamais cédé un pouce de sa bonne réputation.
Il faut le faire aussi parce qu'au moment où PEUGEOT(INDENOR) reprenait TERROT (1958), alors que les dernières motos étaient produites à St Etienne, jusqu'à l'arrêt définitif (1961), la marque "Terrot" va survivre (pour des vélos fabriqués par Peugeot-Cycles) jusque vers 1970.
Avant d'en arriver à cette extrémité, la "bicyclette Terrot" s'était couverte de gloire dans les courses dès avant 14: le titre de Champion du Monde sur piste, en 1911, pour Ellegaard. Elle brillait également sur route, lors des années trente, surtout dans les épreuves régionales, mais aussi avec le Grand Prix des Nations (1938) gagné par Louis Aimar. Sans oublier les succès de Magnat-Debon (Louis Gauthier, Champion de France).
Mais c'est dans les années 48-55 (encore sous la houlette de Pierre Dion), que le maillot vert et blanc sera défendu par l'élite du sport cycliste : Robic, Teisseire, Kubler, Antonin Rolland, Deledda, Ockers, Couvreur, Géminiani, Malléjac, Adriaenssens... et Charly Gaul, le luxembourgeois "roi de la montagne".
Le mot de la fin ? 8 titres de Champion du Monde en cyclo-cross 3 pour Roger Rondeaux et 5 pour André Dufraisse !

 

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